Le Soleil se couchait doucement sur la ville, offrant l'orangé de ses rayons aux regards des pseudos artistes du coin. Williamsburg commençait doucement à s'éveiller de sa torpeur, comme un vampire de béton de d'acier ne vivant qu'à la douce lueur de la Lune. À mesure que les néons de couleurs s'allumaient, les bruits ambiants de la nuit couvraient les derniers échos de ceux du jour. Dans un building du quartier, les fenêtres du quatrième étage étaient éclairées et les rideaux fermés offraient un spectacle d'ombres chinoises à qui voulait bien le voir.

La pièce était dans un état épouvantable. Diverses étoffes jonchaient le sol tant et si bien que seul un œil avertit aurait pu deviner qu'il s'agissait en réalité de robes et tenues en tout genre. Produits de beauté et produits capillaires s'éparpillaient sur chacune des tables et une commode était couverte de brosses et de laques. Au milieu de ce bazar épouvantable, Meghan vérifiait que la robe qu'elle portait était en parfait état. Elle se trouvait dans ce qui avait été sa chambre il y avait seulement une heure de cela. Désormais elle n'avait plus grand éclat : il semblait qu'une tornade avait décidé de nettoyer à sa façon la pièce. Le ménage devrait pourtant attendre, elle se contenta de ranger les vêtements qui traînaient par terre avant d'attraper son sac et, après un dernier coup d’œil dans le miroir de l'entrée elle quitta l'appartement.

Le trajet jusqu'au bar ne dura pas longtemps. Il se trouvait seulement à cinq minutes de chez elle et constituait de ce fait un parfait point de ralliement pour Meghan et ses amis avant de sortir en ville. Et comme elle en avait besoin ! La journée n'aurait pas pu être plus longue qu'elle l'avait été. La brunette aimait son travail, vraiment, mais il y avait des jours où ce-dernier était ingrat. L'un des chroniqueurs de l'émission avait eu la bonne idée de mentionner les Evos en passant dans sa rubrique, déclenchant ainsi une pluie d'appels qui se transformèrent en débat virulent par téléphone interposé. La jeune femme avait eu du mal à calmer tout le monde, mais aussitôt ceci fait, elle s'était empressée de changer de sujet jusqu'à la fin de son créneau horaire. Aussitôt les micros coupés, le chroniqueur avait été envoyé dans une autre équipe sur demande de la jeune Stanford.

Elle entra dans le bar avec un soupir. Ce n'était certes pas un établissement aussi branché que ceux qu'elle avait prévu de visiter dans la nuit, mais l'endroit néanmoins un certain charme. Comme si, une fois passées les portes, plus rien n'existait. Comme si l'on pouvait être qui l'on voulait. Meghan s'installa au comptoir, pochette en main, et commanda un gin tonic. Nick, le serveur, la connaissait assez pour savoir que seule une journée fatigante justifiait une telle commande et ne tenta pas d'engager la conversation avec elle. Son verre payé, elle prit une gorgée salvatrice, l'alcool lui brûlant délicieusement la gorge. Après une seconde gorgée, la brunette sortit son téléphone pour envoyer un message à ses compagnons pour la soirée afin de savoir où ils étaient.

Alors qu'elle envoyait son message, Meg entendit les échos de la télévision lui parvenir aux oreilles. Quelqu'un avait dû vouloir regarder le score d'un match quelconque et la laisser tourner ensuite, c'était désormais les informations qui passaient. Le présentateur, dans son costume impeccable et sa coiffure impeccable et sa prononciation impeccable, détaillait comment une catastrophe avait été évitée grâce à l'arrestation d'un Evo non-déclaré qui avait tenté de visiter le Capitole. Avec sa classe. En sortie scolaire. Sirotant son verre, Meghan regardait les images du reportage. C'était un gamin, un garçon de quinze ans à peine, dont le pouvoir ne devait pas être très puissant s'il s'était laissé arrêter. Ou peut-être l'était-il et l'adolescent avait refusé de s'en servir de peur de blesser quelqu'un. Dans les deux cas, cela faisait de lui tout sauf un terroriste. Son seul crime était de ne pas s'être fait recensé comme Evo et d'avoir voulu visiter un bâtiment fédéral, tout au plus cela faisait-il de lui un idiot.

« Éteins-moi ça Nick, demanda la jeune femme en indiquant le téléviseur d'un mouvement de tête au serveur. Personne vient ici pour voir les flics débarquer. »

La dernière image qu'elle put voir avant l'extinction de l'appareil fut la photo du 'terroriste'. Sans doute une photo de classe, un sourire tordu, un appareil dentaire et quelques boutons. Il avait bien changé le stéréotype du terroriste depuis que la Bennet avait décidé de se la jouer saut de l'ange. Ben Ladden ? Des clous, la plus grande menace de toute l'histoire des États Unis d'Amérique c'est un adolescent boutonneux aux dents de travers ! Elle avait presque envie de trinquer à cela. Meghan vida d'un trait son verre et fit signe au barman.

« Tu m'en remettras un, dit-elle en tapotant son verre. Léger sur le tonic. »

Meghan se plaisait à croire que même si elle n'avait pas été des leur, l'injustice dont étaient victimes les Evos l'aurait tout de même révoltée. Il était consternant de voir à quel point des actes qui, seulement quelques années auparavant, étaient considérés comme révoltants devenaient acceptables devant l'inconnu. Recenser les spéciaux, les pucer, les surveiller, comme de vulgaires animaux errants et dangereux. Voilà ce qu'elle devrait dire dans son émission, elle devrait expliquer à tout ces idiots là dehors que les lois ne sont pas toujours justes, et que les appliquer malgré tout était le vrai crime. Martin Luther King devait se retourner dans sa tombe.

Les jours se suivent et se ressemblent. La fuite en avant toujours. Traqué comme un animal sauvage, dangereux. Un démon dont les pouvoirs inconnus font peur et suscitent la haine. Peur de l'inconnu et haine de la différence, jalousie et envie se mêlent et transforment en enfer le monde qui nous entoure. Aucune option ne s'offre aux Evos, l'exil est impossible, la folie et le rejet s'étendent au monde entier, ne connaissant pas de frontières.

Bouger, sans cesse bouger. La fatigue s'accumule, viendra un moment où Erskine ne pourra plus se cacher, fatalement il se fera attraper. Pour l'instant il a encore quelques coups d'avances sur les autorités mais cela fait déjà quelques mois qu'il se cache. Il a fait appel à tous ses contacts, n'a pas pu rassurer sa famille. Son métier lui a finalement été utile, tous ces petits trucs qu'il a appris au fil des enquêtes, de ses discussions avec des informateurs. Disparaître est plus facile que ce à quoi il s'attendait. Enfin, ça le serait s'il avait décidé de disparaître réellement. A la place il continue à courir la ville à la recherche d'informations utiles, de

Longtemps il a cherché comment ne pas être reconnu alors que sa photo apparaît régulièrement dans les journaux et est probablement communiquée à tous les agents en activité. Utiliser son pouvoir pour se faire des tatouages sur des parties visibles du corps ? Les tatouages attirent trop l'attention des gens, cela ne ferait que l'afficher plus facilement. Trop de témoins qui pourraient se souvenir de son passage, ouvrant une voie royale pour le suivre et le rattraper. Alors il avait finalement opté pour une utilisation plus modérée de son pouvoir, se contentant de faire apparaître des petites tâches semblables à des tâches de vins très sombres sur sa main droite et son cou. Intrigantes, mais pas marquantes. Si elles attirent l'attention, ce n'est pas sur le visage et le risque est moindre. Pas nul, juste moindre.

La nuit tombe, il est temps de sortir récolter des informations, observer la population, tenter de repérer d'autres Evos afin de voir comment ils tiennent le coup et les aider. Si possible. Erskine applique son pouvoir machinalement, attrape sa veste et sort de l'appartement d'un de ses ancien indic' qu'il squatte depuis quelques jours, en l'absence de celui-ci.

Le froid du début de soirée se fait sentir, arrachant un frisson à Erskine alors qu'il met un pieds hors de l'immeuble en piteux état. Son errance ne durera pas bien longtemps s'il fait déjà aussi frais. Tant mieux, il n'aura qu'à trouver un bar, les confessions alcoolisées sont de bonnes sources d'informations. Même sans trop boire, les hommes et femmes que l'on y trouve parlent comme s'ils se sentaient à l'abri du monde qui les entoure. Comme un deuxième toit. Dans certains bar en tout cas, encore fallait-il les trouver. L'avantage d'avoir été journaliste réside dans le fait de bien connaître ce genre d'établissement et de savoir les reconnaître en observant la clientèle. Observer les quelques badauds occupés à fumer leurs clopes devant l'entrée. Comme pour beaucoup d'autres choses, la première impression est souvent la bonne. Errant de rues en rues, Erskine juge et tombe finalement sur un bar qu'il n'avait pas encore remarqué jusque là. Apparence sobre et seulement deux personnes en train de discuter, verre dans une main, cigarette dans l'autre. Erskine s'avance vers l'établissement, salue d'un mouvement de la tête les deux hommes et entre dans la chaleur du bar.

Erskine avisa la décoration sobre du bar, encore peu rempli à cette heure-là. Que du mobilier passe-partout, tout comme les clients attablés ci et là. Retirant sa veste, il s'assit à un bout du comptoir et attendit que le barman s'intéresse à lui.

« Bonsoir, qu'est ce que j'vous sers ? »

« Un Brandy s'il vous plaît », Erskine pointa la télé à sa droite « c'est possible de l'allumer ? »
Le barman hocha la tête, alluma la télé et pris la bouteille afin de le servir. Alors que le liquide ambré emplissait le verre, Erskine reprit son inspection du bar tout en remerciant le jeune homme qui le servait. Les clients étaient essentiellement des jeunes, entre vingt et trente ans occupant leur soirée à discuter autour d'un verre, à se créer d'agréables souvenirs loin du vacarme du monde alentour. Parfois ils refont le monde, certains agiront peut être, mais pour l'instant ils se délectent des breuvages que leurs apportent le barman et la serveuse. Rien de très intéressant. Mauvaise pioche ?
Erskine reporte son attention sur l'écran non loin de lui. Un « reportage » sur un Evo terroriste. Foutaises. Comment un gamin aussi jeune pourrait représenter une menace ? Plus personne n'est safe. Tout le monde peut être traité comme terroriste, sans preuve. La paranoïa ambiante y contribue.

Deux tabourets plus loin, une jeune femme arrivée peu après lui se fait servir et réagit à ce qui se passe à la télé'.

« Éteins-moi ça Nick. Personne vient ici pour voir les flics débarquer.   »

« Tu m'en remettras un, léger sur le tonic. »

Peut être qu'il n'aura pas perdu son temps finalement.

« Il est pour moi. » indique Erskine au barman alors qu'il la ressert. « Rude journée ? Ce monde est fou, ça se comprend. » Il leva son verre en direction de la jeune femme et but une gorgée.