Un dangereux journaliste se volatilise !

Capoti arrête sa lecture là. Bah. Peu importe. Ce journal est, et a toujours été, minable. Qui croira ce tissu de mensonges ? Peu de personnes lisent ce torchon et il ne sait pas trop pourquoi il s'est retrouvé à travailler pour eux. La malchance, probablement. Mais la chance n'a pas tourné, loin de là. Alors qu'il avait enfin des contacts pour changer de boîte, voilà que tout ça lui tombe sur la gueule, et maintenant, il doit fuir. Qui sait ce que les fous furieux lancés à sa poursuite sont capables de faire ? Qui sait ce que le gouvernement veut vraiment faire des gens comme lui ? Fuir, se cacher, oui. Mais plus on est prêt du danger, plus grande est la sécurité. Après tout, il est journaliste, son travail c'est d'enquêter. Certes, jamais il n'a pris autant de risques, jamais il n'a eu l'occasion de mettre sa vie en danger pour ses convictions ... mais maintenant que sa vie est très probablement menacée autant se battre pour comprendre.

Erskine passe sa main sur le papier froissé, la photographie se déforme, prend les traits d'un autre. Vengeance amer et prudence. Prudence car - sait-on jamais- si quelqu'un ramasse le journal qu'il s'apprête à jeter et fait le rapprochement, il devrait s'enfuir encore. Un oeil exercé verrait qu'il s'agit d'une nouvelle couche d'encre, le rendu n'est pas exactement le même que celui de la photo de l'article principal - encore sur les mesures gouvernementales contre les gens comme lui - mais peu importe, petite vengeance, le garnement qui a sa tête affichée en couverture de cet exemplaire unique du NewsToday mériterait d'être poursuivi, lui qui a fait de la vie de tant de journalistes un calvaire.

Tout ce travail pour en arriver là. Il froisse le journal et vise la poubelle, la boule touche mais rebondit à côté. Erskine jure et s'approche pour déposer directement dans la poubelle ce journal. Il avise l'heure et entre dans le parc alors que le soleil commence à disparaître sous l'horizon. Central Park. Immense. Il arrivera bien à se cacher ici, il ne peut plus se cacher chez ses amis de toutes façons. Il repère les gardiens et se félicite d'avoir eu la présence d'esprit de passer chez un coiffeur avant de disparaître, au moins il est moins repérable maintenant. Il se dirige vers une partie moins fréquentée et s'enfonce dans le mur d'arbres et buissons jusqu'à disparaître à la vue de tous.

"Comment en suis-je arrivé là ? " souffle-t-il.

La question se pose en effet. Rien ne le destinait à tout cela.

Il a grandi dans une famille déchirée par les problèmes, une mère absente et un père idiot au possible - ceci expliquant probablement cela. Les rares fois où la famille était ensemble, les assiettes et les mots volaient bas, éclataient. Il se retrouvait alors seul, dans un quartier mal famé de Chicago. Des "spécialistes" auraient probablement estimé qu'il avait toutes les chances de finir délinquant. Seulement plutôt que de passer son temps à fuir son foyer en traînant dans les rues il s'en est échappé par la connaissance, terré dans la bibliothèque du coin. Il vaut probablement mieux ne pas avoir d'amis que d'avoir pour amis ses voisins de l'époque ; ces petits dealers qu'il ignorait autant que possible.
Il avait beau se concentrer sur les études, il n'y réussissait pas particulièrement mieux que la moyenne. Ce qui était toujours mieux que les petites frappes. Ni très intelligent ni très populaire ou séduisant, Erskine a toujours été seul et moqué par les autres. Des rumeurs couraient sur sa famille. Alcoolisme, violence, stupidité ... Okay, ce dernier point était plutôt vrai. Mais au fil des ans il a réussi à faire quelque chose de sa vie, à devenir bon dans certains domaines ... s'attirant encore plus l'inimitié de ses camarades délinquants.
Au Lycée, il a rejoint le journal. Il était plutôt bon. Un peu trop curieux et certaines personnes ont commencé à voir en lui une menace. Passages à tabac, menaces ... Convocations. Sa scolarité s'est rapidement transformée en enfer. Avec le recul, c'était évident. Une fouine arrive pleine de bonnes intentions dans un terrier plein de trafics - trafics n'impliquant très probablement pas que des élèves vu l'insistance de certains membres du personnel. La direction du club a fini par le remercier, sous de fallacieux prétextes. Pour quels résultats ?
Il partit en claquant la porte violemment du club, fila droit chez lui, cherchant un moyen de se calmer, passer ses nerfs. Assis à son bureau, il ouvrit un carnet et commença à dessiner des caricatures de ses anciens collègues qui se présentent comme irréprochables. Vaste blague. page après page, il gribouillait déchirait, sa rage ne disparaissait pas. Alors qu'il attrape un nouveau carnet et l'ouvre sur une double page blanche, une image s'impose à lui. Nette. En noir et blanc. Ses deux anciens camarades, crayons à la main, penchés sur les planches du journal. Des fils de marionnettes dirigent leurs mouvements. Sous ses yeux, une matière noire prend forme sur le cahier. Petit à petit. La forme qui s'est imposée à lui s'imprime sur le papier. La peur, l'incompréhension se sont rapidement fait balayer par la curiosité. Pendant des semaines, Erskine s'est fait passer pour malade afin d'essayer de comprendre ce qui lui arrivait, de tester les limites encore floues de cette capacité.

La réalité fini par le rattraper alors qu'il sort de chez lui pour retourner en cours. Le groupe de jeunes l'interpelle. Il tente de les ignorer mais ils s'énervent et l'encerclent. Les mots fusent suivis par les coups lourds. Ils pleuvent, et le sang coule. Ses affaires lui sont volées.

La justice n'existe pas, elle ne lui sera d'aucun secours.

Dégoûté, Erskine passa ses examens en faisant son maximum pour intégrer une école de journalisme réputée. Esprit de revanche ? Peu importe. Il n'a fait que terminer dans une faculté bas de gamme puis dans un journal du même acabit. Pour illustrer ses articles, il a cherché à comprendre son pouvoir, à l'utiliser, le dompter, sans beaucoup de succès, il n'est pas bien utile au final. Mais tout a changé quand les Evo ont été exposés à la face du monde.

Et maintenant le voilà. Terré dans un parc en attendant de pouvoir agir. De pouvoir chercher à comprendre qui tire les ficelles dans ce monde de fou. Pourquoi la haine a-t-elle pris le pas sur l'humanité ? Pourquoi l'histoire se répète-t-elle et les gens comme lui sont-ils persécutés ? Il est temps de se mettre au travail, de se battre pour que le monde redevienne paisible. Utopie.

Erskine est un looser. Le vrai. Plein d'ambition mais surtout de maladresse. Tout ce qu'il entreprend est voué à l'échec mais ça ne l'empêche en rien de continuer à essayer... Il va de l'avant, se fixe des objectifs tout en sachant qu'au final quelque chose lui tombera sur le coin de la gueule et qu'il devra recommencer. Il est déterminé, probablement borné mais, comme son parcours le laisse supposer, il courbe l'échine quand c'est nécessaire. Enfin, ça c'était avant. Maintenant que le monde entier l'a abandonné, il n'a plus de raisons de se mettre à genou devant qui que ce soit. Sa curiosité autrefois un défaut lui ayant causé tant de problèmes, lui ayant offert tant de voyages à l'infirmerie ou aux urgences, cette curiosité va lui servir de moteur, d'exutoire. Il est prêt à tout, ou presque, pour parvenir à ses fins. Vengeance contre le monde, contre le passé. Il ne pourra pas montrer à ses parents, morts tous les deux, ce dont il est capable, les idéaux de liberté pour lesquels il se bat et au final peu importe. Ils ne l'auraient pas compris, faibles qu'ils étaient, autocentrés.

Il est temps de battre cette malédiction qui semble lui coller à la peau. Plus rien de grave ne peut lui arriver. La peur lui colle à la peau mais ne le cloue pas au sol comme elle a pu le faire auparavant. Seule importent la Survie et la Vérité. Ca s'annonce sportif.

 

Erskine dispose d'une capacité peu commune. Il est capable de synthétiser une substance comparable à de l'encre noire. Il peut l'utiliser pour faire apparaître des marques sur des surfaces planes. Le rêve de tout tageur amateur, et de Bansky probablement. Son pouvoir ne peut cependant s'appliquer que s'il est proche de l'objet ou de la personne sur lequel il veut utiliser son don et s'il a une idée très précise de ce qui apparaîtra. Il ne peut donc pas commencer un dessin et partir en freestyle.